Impulser le changement depuis l’intérieur
Comment la communauté interne du Rhizome contribue-t-elle à transformer le groupe EDF de l'interieur ? Entretien avec Eva Comble.
Dans cet article, je vous propose de découvrir une communauté un peu différente de la plupart de celles étudiées dans le livre Le pouvoir des communautés, puisqu’elle n’est pas tournée vers l’extérieur, mais l’intérieur. Dans le cadre de la préparation du manuscrit, j’ai en effet eu l’opportunité de rencontrer Eva Comble, Cheffe de projet Réemploi chez EDF et cofondatrice du Rhizome, un réseau horizontal créé pour inspirer et engager les salariés du géant de l’énergie sur des initiatives sociales et solidaires.
J’ai trouvé son expérience très inspirante, ne serait-ce que pour son parcours complètement hors sol. Passer de l’ingénierie nucléaire (la formation initiale d’Eva) à la gestion de dynamiques profondément humaines : il fallait le faire ! Mais aussi parce que la communauté du Rhizome s’est créé de manière totalement organique, impliquant un fonctionnement et des dynamiques passionnantes.
Dans cet article, vous trouverez donc des clés pertinentes pour renouer avec l’engagement et le sens au sein de votre propre communauté. Mais aussi, pour trouver les bons leviers d’action et d’impact sur vos membres comme votre entreprise…
La naissance d’une communauté intrapreunariale
C’est presque systématiquement le cas lorsque l’on s’intéresse aux communautés. La grande majorité des Community Builders que j’ai rencontré sont presque tous arrivés dans le métier par hasard ! Et le plus souvent, ils sont passés par des chemins de traverse…
C’est le cas d’Eva, qui a travaillé 15 ans chez EDF en tant qu’ingénieure en nucléaire, avant de tomber dans la marmite communautaire. En marge de son poste historique, elle avait toujours voulu s’engager pour le changement de société. Et ce, notamment en s’activant dans l'entrepreneuriat social et solidaire avec Ticket for Change, ou encore makesense.
Son motto : changer le monde en créant une startup sociale, pas forcément en révolutionnant un géant de l’énergie de l’intérieur. Et pourtant, lorsqu’elle finit son parcours Ticket for Change en 2018, Eva n’a pas vraiment envie de quitter le navire. Après 15 ans chez EDF, elle reste attachée à son entreprise, persuadée qu’elle n’exprime pas son plein potentiel. Les calculs de tuyauterie, ce n’est plus vraiment sa passion.
Sans préméditation, Eva décide donc de créer un collectif dans son centre d'ingénierie à Marseille, en 2018. Ses collègues, qui connaissaient son engagement, la sollicitaient déjà sur des questions diverses et variées. Elle réalise qu’en interne, nombreux sont ceux qui ont la même lecture du monde - et la même envie d’agir ! Eva décide donc qu’au lieu d’en discuter en 1 : 1 autour d’un café, elle peut créer un groupe de réflexion sur ces thématiques. Au départ, ce sont une vingtaine d’intéressés qui la rejoignent.
Le premier atelier de réflexion divergence-convergence accouche de 2 actions concrètes à mener au sein du centre : la suppression des gobelets en plastique et le recyclage des mégots. En mettant en place une dynamique de changement concrète, Eva commence à fédérer de manière organique une communauté engagée.
Se structurer pour gagner en visibilité et maximiser son impact
À force de s’entendre demander qui ils sont et qui les a mandaté, le petit groupe qui s’est formé autour d’Eva se structure progressivement. C’est la suite logique pour être plus visible auprès des dirigeants. Mais aussi pour maximiser l’impact des décisions et initiatives lancées par la communauté.
En 2020, Eva et ce qui deviendra le Rhizome, réalisent que sur le site de Saclay, deux autres employées font peu ou prou la même chose. Elle découvre un autre collectif de salariés qui challenge lui aussi la consommation énergétique du bâtiment, organise des conférences sur des thématiques similaires, etc. Eva se dit que s’ils sont déjà deux collectifs à entreprendre des actions solidaires chez EDF, c’est qu’il doit y en avoir beaucoup plus.
Cette réalisation coïncide avec l’arrivée de l’outil Teams chez EDF qui lui permet de découvrir l’ampleur du mouvement en interne. Avant cela, Eva marchait surtout sur LinkedIn, où elle avait lancé le groupe “Génération Connectée”. Mais Teams révolutionne son approche communautaire. Elle s’en sert pour débusquer les autres initiatives lancées par des collaborateurs au sein de l’entreprise.
Eva commence à collecter des témoignages, à découvrir d’autres initiateurs du changement, grâce au bouche à oreille. Au final, ce sont plus de 80 personnes qui la contactent pour lui parler de leur collectif ou de leurs initiatives partout en France - et dans le monde entier !
C’est donc grâce à beaucoup de bonnes volontés, mais aussi au bon outil, que naît le collectif Rhizome en 2020.
D’un collectif à des collectifs
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Fin 2020, Eva réalise que ces initiatives existent non seulement partout chez EDF, mais aussi au sein d’autres entreprises : chez Michelin, Veolia, Suez, SNCF… Ensemble, ils décident donc de créer “Les Collectifs”, le réceptacle de toutes ces communautés intrapreunariales qui se créent pour changer les entreprises de l’intérieur. Aujourd’hui, Les Collectifs est implanté dans 200 entreprises dont 1/3 du CAC40.
En plus de la portée et de l’ampleur du mouvement, ce dernier est surtout né de manière 100 % organique (pas mal quand on s’intéresse à l’impact environnemental de son employeur !).
Loin des stratégies marketing ou commerciales, ces collectifs sont nés d’une envie d’agir, et d’incarner le changement dans le monde de l’entreprise. Après ces lancements spontanés, il ne restait plus qu’à fédérer les initiatives, à organiser ses actions et à animer un réseau très dynamique… Mais aussi très éclaté.
Le fait d’opérer en full remote va paradoxalement aider Eva à se connecter de manière plus transparente et égale avec chacun de ses interlocuteurs, peu importe leur proximité géographique ou opérationnelle.
De l’inspiration à l’action : l’évolution d’une dynamique communautaire
Aujourd’hui, le Rhizome compte presque 1 300 membres. Eva a participé à la rédaction d’un manifeste dans lequel le collectif présente sa raison d’être :
- s’inspirer pour mieux passer à l’action ;
- se soutenir quand on a un besoin d’aide ou en cas de doute ;
- essaimer les bonnes initiatives pour faciliter leur passage à échelle.
Au-delà de ces trois piliers, Eva souhaite, avec la communauté, réconcilier le salarié (en particulier celui qui travaille dans un grand groupe, qui n’a pas toujours les mains très propres) et le citoyen. Mais aussi, lui donner une forme de capacité d’action et une caisse de résonance face à son Comex, pour équilibrer les dynamiques de pouvoir. Plus on est nombreux derrière une initiative verte (et pas forcément rentable), plus il est facile de challenger son employeur.
D'initiateur et soutien, le réseau Rhizome est aussi devenu partie prenante des actions qu’il participe à créer. La communauté est ainsi régulièrement contactée par le DRH ou les syndicats pour participer à un accord employeur ou encore mettre en place un questionnaire sur la mobilité. L’avis du collectif est sollicité et ce dernier devient donc de plus en plus une figure de plaidoyer interne.
D’initiatives bénévoles à un temps dédié pour l’engagement
Après que le collectif a pris de l’ampleur, est venu le temps de revoir son organisation.
Eva a opté pour une structure en cercles (chacun étant dédié à un sujet, comme les webinaires, la communauté et la communication, les actions, etc.). Ces derniers permettent de faciliter la gouvernance et de mieux cadrer chaque facette et prise de parole de la communauté.
La question se pose aussi de continuer d’agir au sein du collectif de manière bénévole ou d’inciter le Comex à donner aux membres un temps dédié à la communauté.
Pour la direction comme le DRH, cette dernière peut être un formidable laboratoire des nouvelles modalités de travail et d’engagement. Mais aussi un instrument efficace pour renforcer la marque employeur d’EDF.
Affaire à suivre…
Agir plutôt que dire : comment surfer sur la motivation intrinsèque de ses membres pour passer à l’action ?
L’expérience d’Eva illustre parfaitement l’importance d’agir et d’évoluer de manière progressive, plutôt que d’attendre (généralement trop longtemps) que les étoiles soient alignées pour lancer sa communauté.
Le mode exploration et la phase intermédiaire de la Minimum Viable Community permettent, à terme, de fédérer des milliers de personnes. À l’inverse, une réflexion trop poussée en amont peut parfois paralyser et ne pas inciter au passage à l’action.
Cette dynamique, Eva la réplique dans son member Journey. Pour réceptionner et faire émerger des initiatives incarnées, elle se concentre sur la transition entre une consommation de contenu (webinaires, articles) et la mise en place d’actions concrètes.
Pour faciliter cette montée en puissance de l’engagement de ses membres, Eva a identifié plusieurs leviers :
- La création d’ateliers très concrets qui permettent de passer de l’éco-anxiété à l’action alignée (via de la méditation, etc.) pour réactiver ses membres dormants et les pousser à devenir acteur ;
- Ne pas être dans la sur-valorisation des initiatives mises en place. Cela lui permet d’éviter l’admiration qui inhibe le potentiel des individus et donc du collectif ;
Avancer main dans la main avec la direction pour rester dans une dynamique saine de collaboration, et non de confrontation (qui peut bloquer certaines personnes).